La Bretagne chantée par Julien (volet 1) "Quand femme rêve"

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Modérateur : Sirène

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sheumas17
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La scène pourrait commencer en mer d’Iroise, sur un navire barré par un enfant qui n’aurait pas seize ans et escorté par une bande de grands dauphins blancs. Tu écoutais « Yann et les dauphins » et, dans tes lectures de Stevenson et de Melville, tu voulais, toi aussi, faire partie de l’équipage et rejoindre les fuyards encerclés, les forbans les plus louches et les filles damnées. Tu avais visité cette portion de grand espace entre Molène et l’ile d’Ouessant, entre le Conquet et la ville de Brest, là où, dans ton imagination, vivaient les irréductibles Gaulois, compagnons d’Astérix. Tu écoutais aussi « le bagad de Lann Bihoué », Jean-Michel Caradec, « qu’elle est belle ma Bretagne », « je suis un pêcheur de Porsall » ou Alan Stivell, « tri matelod »… Tous les chants douloureux de la ville d’Ys remontaient du fond de la mer, « dans la grande course au trésor ».
« Me voici sur la plage armoricaine » ricanait Rimbaud qui ne connaissait pas Ouessant et qui rêvait d’y mener sa « saison en enfer ». « Le cœur en peine vers Ouessant »… Ce bout de Finistère te donnait déjà le frisson, et les paroles du Breton Ernest Renan, cité cet été là dans un journal local de Douarnenez, sonnaient comme un avertissement : « un vent froid, plein de vagues et de tristesse, s'élève et transporte l'âme vers d'autres pensées ; le sommet des arbres se dépouille et se tord ; la bruyère étend au loin sa teinte uniforme ; le granit perce à chaque pas un sol trop maigre pour le revêtir ; une mer presque toujours sombre forme à l'horizon un cercle d'éternels gémissements »
Pas de réelle plénitude sur ces rivages mais, inexorablement, une vague mélancolie romantique... « Quand femme rêve… toujours l’entraine le goéland, là-bas vers Ouessant ». Quand tu es tombé amoureux d’elle cet été là, tu écoutais Julien Clerc et tu lisais Julien Gracq : Bretagne, « cloître au mur défoncé vers le large à l’oreille d’un profond coquillage en rumeur ». C’était en juin à Ouessant. Rochers, nuages, toile de tente et reflet de soleil couchant… Rayon vert d’un amour d’adolescent. « Qui voit Ouessant voit son sang »… Tu la vois tous les matins et tu l’aimes chaque jour davantage et « elle prend tes je t’aime, tes baisers ». Tourbillonnement de la musique imitant la tension et la spirale d’un envol. « Là-bas, vers Ouessant ». Vertige effaré du goéland, du papillon de nuit ébloui dans la lumière du Phare : « toujours l’entraine le goéland, le cœur en peine vers Ouessant… »
Le sillage des bateaux et le vol des mouettes et des cormorans dans l’espace, c’est l’inscription du temps qui passe. Juillet, août, septembre… L’automne remonte du fond de la mer. Tu ne peux déjà plus rien contre la navette d’Ouessant. Abîmé comme un vieux mât, sur le môle, tu la regardes rêver tandis que le bateau s’en va. Tu ne veux pas la laisser partir, elle est « princesse de Clèves sur un traineau ». « Fort sous la neige », tu t’agrippes à ses ailes, tu tâches de rejoindre le vol de l’albatros. « Indolent compagnon de voyage », tu te voudrais cerf-volant, « docile au vent ». Mais l’histoire est finie. Inutile de chercher à retenir le temps. L’amour s’envole vers Ouessant, parmi l’écume et le flot. « Elle prend ton cœur, tes baisers ». Elle est aussi rude que le bec, « prisonnier d’elle sous un hangar où elle extrait la moelle de tes os, elle boit ton sang comme l’eau ».
Les liaisons entre Ouessant et le continent vont encore diminuer. Avec l’automne, toutes les chansons éclaboussent. Tu ne peux plus écouter « quand femme rêve »… « L’été ne peut pas être et avoir été. Ta vie n’est plus qu’un terrain vague à vendre, et ton cœur n’est plus qu’un petit tas de cendres »… Elle n’a rien laissé, « elle a tout pris, même les oiseaux dans les arbres » et même les goélands sur le môle !
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