FRANCOPHONIE VIVANTE (Belgique) mars-juin 2016

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Modérateur : Sirène

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Violaine
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Bonjour :salut:
Pierre Guérande a eu la gentillesse de me faire parvenir son article paru dans FRANCOPHONIE VIVANTE (Belgique) n° 1-2, Bruxelles, mars-juin 2016.
Merci également à l'auteur pour avoir écrit un article où l'on découvre des aspects pas forcément connus de tous.
Le voici ci-dessous. Bonne lecture! :pc4:

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Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) :
l’hommage de la chanson française (*).

Il paraît curieux, à première vue - ou, dans le cas présent, à la première écoute -,
qu’une poétesse incarnant une des formes les plus élevées du romantisme puisse
reparaître, tout récemment, à travers des chansons dont elle devient dès lors la
parolière tout à fait improbable et involontaire…

Encore, s’il s’était agi de mise en musique par des compositeurs classiques (au
sens le plus général), mais on découvre que cette auteure a fourni les textes et donc
aussi l’inspiration à des musiciens quelquefois pop rock, à la rigueur reconvertis
à des modes d’expression plus sages – âge aidant et carrière faite – mais disposant
donc d’expérience et de sens critique indiscutables : ces artistes bien connus d’un
public large et très branché « chanson française » sont Julien Clerc et Pascal Obispo :
nous y reviendrons !

La redécouverte d’une vie et d’une oeuvre

Ce succès d’estime assez inattendu provient peut-être du statut particulièrement
spécifique de la poétesse qui, assurément romantique, n’avait rien d’une artiste
de salon (1), ayant côtoyé toutes les misères du monde au long de sa vie.
Il serait donc vain d’associer ses écrits, par exemple, à l’œuvre d’un peintre
comme Elisabeth Vigée-Lebrun connue pour sa géniale mais parfaitement
doucereuse, sinon mièvre, exaltation de la beauté.

« Marceline Desbordes-Valmore représente le courant élégiaque avec un
dépouillement et une sincérité que Lamartine et Musset n’ont pas toujours su
préserver. (…) Elle dit l’amour, les attentes et les incertitudes de l’amour, avec
l’évidence d’une parole immédiatement à l’unisson du cœur » : cette réflexion d’une
très grande lucidité, nous la tirons de la présentation que fait Serge Beaudiffier de
l’ouvrage « La poésie romantique », un des volumes de La Bibliothèque de Poésie (2).

Admirée par ses contemporains Lamartine, Vigny, Hugo, Sainte-Beuve,
Georges Sand, Baudelaire, et plus tard par Rimbaud, Verlaine et l’éclectique
Mallarmé, l’artiste gagne aussi le cœur d’un écrivain largement postérieur à son
temps : c’est Stefan Zweig qui, autrichien, se révèle être un extraordinaire polyglotte
et traducteur : non content d’avoir écrit nombre de biographies mémorables (Magellan, Erasme, Marie Stuart, Marie-Antoinette, Fouché, Verhaeren…), Zweig fait paraître
très tôt celle de Desbordes-Valmore (3). Le destin de Marceline y est décrit avec, tout d’abord, l’appui d’une documentation étonnante ; mais il est de plus ponctué de citations
très circonstanciées que l’auteur puise à travers toute l’œuvre, non sans un souci
exemplaire de la chronologie des événements vécus (4): on ressent dès lors une
admiration extrême pour l’élévation de pensée et le vouloir vivre de cette
authentique Mère Courage qui transfuse par moments à Zweig des accents plus
romantiques qu’elle n’en reflétait peut-être de par sa poésie personnelle. Or, l’avalanche
des deuils et des revers rencontrés durant cette vie a de quoi émouvoir les plus
insensibles, et l’écriture de Marceline garde au fond une pudeur foncière face
à son véritable chemin de croix.

Seuls la protection presque paternelle de Grétry, au seuil de sa carrière lyrique à
Paris (5) et la tardive main tendue, mais refusée par excès de scrupules, de Madame
de Récamier seront là pour adoucir une biographie qui, sans cela, tient du roman
noir plus que de tout autre chose.

Plus près de nous, Jeanine Moulin (6) s’est, elle aussi, emparée de la figure de Marceline
pour magnifier sans aucun doute le courage perceptible à travers toute sa biographie
mais plus encore dans son œuvre qu’elle décrypte avec sa propre lucidité de
poète : Jean Tordeur, la recevant à l’académie de Langue et de Littérature, qualifie
le livre qu’elle consacre à l’auteure romantique de véritable « révélation ». Ce livre étant
désormais assez rare, on en trouvera dès lors le commentaire éclairé dans
la collection des discours de réception à l’académie par Jean Tordeur (7).


L’hommage récent de la chanson française

C’est Julien Clerc qui, conseillé par son agent, se plonge un jour dans la lecture des
poèmes de Marceline et en extrait un titre (Les séparés) qui figure dans l’album Julien
sorti en 2007. Il lui vaudra le prix Rolf Marbot décerné par la Sacem (société des auteurs,
compositeurs et éditeurs de musique). Le texte évoque assez fortement l’atmosphère du
Lac de Lamartine et la fuite du temps irrémédiable : telle est la souffrance encourue
qu’un déni de mémoire semble encore préférable.

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre
Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.

Plus banales, en un sens, sont les circonstances des retrouvailles des poèmes par Pascal Obispo, qui furète dans la bibliothèque de son père disparu pour en exhumer douze poèmes dont il fera bientôt son dernier album et dont le titre même (Billet de femme) leur est emprunté : « j’ai rencontré une femme, avec ses mots, sa douceur, ses émotions, sa souffrance et sa douleur intense. De cette relation à distance en années, je ne suis pas sorti tout à fait indemne. Voici le résultat de cette rencontre en douze chansons, comme douze déclarations d’amour ». Lors d’interviews, le chanteur-compositeur évoque plus communément la limpidité, l’efficacité même des poèmes et de la conviction qu’ils propagent : il faut croire à l’amour. Assez paradoxalement, l’artiste vante la direction d’orchestre de Jean-Claude Petit, laquelle parviendrait à faire oublier les textes, alors que, par ailleurs, il n’a rien coupé aux poèmes et confirme le bien-fondé de son coup de coeur. C’est évidemment le choix des titres et leur nombre qui traduisent le mieux l’engouement engendré, car Julien Clerc, comparativement, n’avait retenu qu’un un seul poème.

Il semble toutefois qu’un même thème dominant ait pu frapper les deux auteurs de chansons
de par leurs choix préférentiels : le jeu d’évoquer et, en même temps, de rejeter les souvenirs
des heures privilégiées vécues par le passé, marquent une dualité constante chez notre poétesse.


Sans l’oublier, on peut fuir ce qu’on aime
On peut bannir son nom de ses discours
Et, de l’absence implorant le secours,
Se dérober à ce maître suprême,
Sans l’oublier !
(Sans l’oublier)

Je ne veux plus regarder ce que j’aime
(…) L’amour et lui veulent encor que j’aime
Je ne veux plus.

(Je ne sais plus, je ne veux plus)

Un même fil rouge a pu enchanter deux créateurs que le public adopte depuis fort longtemps.
Qu’ils se soient faits les chantres – le mot n’est pas usurpé – d’une poétesse à l’émotivité
fatale et résignée, c’est un gage de reliance avec un héritage toujours recevable, et qu’ils ont
méritoirement remis à l’honneur.

Pierre Guérande


(*) Cet article est paru une première fois dans FRANCOPHONIE VIVANTE, n° 1-2, Bruxelles, mars-juin 2016.


(1) un peu comme Robert Schumann se démarque des autres compositeurs
de ce temps de par ses attitudes souvent très réalistes, mais qui peut-être
l’auront mené à sa perte. « L’artiste doit se tenir en équilibre avec la vie
extérieure, sinon il croule » (lettre à sa mère du 8 mai 1932).

(2) parue à Paris, chez France Loisirs en 1994, sous la direction de Jean Orizet.

(3) Das Lebensbild einer Dichterin (1920), dont la traduction ultérieure en
français (notamment par son ami Algir Hella & O.Bournac aux Editions de la
Nouvelle Revue Critique (1945)), se fera en tirage confidentiel.

(4) les vastes possibilités des modes d’édition actuels autorisent forcément
la référence précise des extraits cités, ce que l’on ne doit pas attendre de
l’ouvrage de Zweig à l’époque où il est paru.

(5) cette carrière se poursuivra à Bruxelles où, engagée au théâtre de La
Monnaie, elle rencontrera « le beau Valmore » qui deviendra son mari et dont
elle joindra toujours le nom à son patronyme. Mais on doit à la vérité de
rappeler, même en un article aussi bref que le nôtre, qu’un premier amour
avait marqué la jeunesse de Marceline, pour avoir été victime d’un jeu pervers de
la part de son amie parisienne Délie, faisant d’elles les répliques achevées de
Cécile de Volanges et de la marquise de Merteuil, dans Les Liaisons dangereuses.

(6) Jeanine Moulin, Marceline Desbordes-Valmore, Coll. Poètes d’aujourd’hui,
Paris, Seghers (1955).

(7) Jean Tordeur, La Table d’écriture – Prises de parole, textes réunis, présentés
et annotés par Marie-Ange Bernard, le Cri, Académie royale de Langue et de
Littérature françaises, 2009.
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Violaine
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A titre individuel, à propos du dernier album d'Obispo "Billet de femme" je recommande l'écoute de "Jamais Adieu" :
http://www.dailymotion.com/video/x3qx1zd
A propos de Stefan Zweig, si vous ne connaissez pas l'auteur, je vous invite à découvrir trois livres:
La Confusion des sentiments, Amok et La Pitié dangereuse "triste1"
Outre l'essai sur Marceline Desbordes-Valmore (que je n'ai pas lu) Stefan Zweig avait écrit d'autres essais, je vous engage à la lecture de Marie Antoinette et de Marie Stuart, livres qui relatent sous forme de roman leurs destins tragiques. :lire:

Belle journée.

Amicalement

Violaine
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